Regime suicide in Syria?
I really liked the column below, by Peter Harling in Le Monde, on Syria. It explains the uprising in Syria in two parts: first, a regime that once came from the provinces having, in its second and third generations, abandoned them and re-centered its economic policy on Damascus to the detriment of the provinces; and second, the return of a security elite that had previously been marginalized by Bashar al-Assad but that he is now relying on to repress the protesters. The conclusion: that Bashar probably does not have the clout or vision to dismantle that security core of the regime, and that the regime is headed for "collective suicide."
On another note, I am traveling this week and blogging will be very light.
La double dynamique du conflit syrien
LEMONDE.FR | 01.06.11 | 09h12
Si les révolutions en Tunisie et en Egypte se sont jouées en quelques actes dramatiques, relativement simples et décisifs, le cas syrien s'apparente plutôt à un feuilleton alambiqué, dont on ne devine pas le dénouement. Aussi faut-il en suivre attentivement les épisodes, et rester attentifs aux rebondissements.
La violence qui agite le pays repose sur une double trame. D'un côté, il s'agit d'une révolte des provinces négligées par un régime qui en est pourtant issu. Hafez Assad, le père du président actuel, appartenait à une génération d'outsiders provinciaux d'origines très diverses, qui s'est battue pour son ascension sociale, la conquête d'un pouvoir accaparé par une élite quasi-féodale, et la projection de l'Etat vers les périphéries, à travers la provision de services, l'extension du maillage administratif, le déploiement du parti Baath, la mise en œuvre de grands projets de développement, etc.
La génération aujourd'hui au pouvoir a oublié ses origines. Elle a grandi à Damas, s'est mêlée à une élite urbaine qui a fait semblant de l'accepter, et a investi dans un processus de libéralisation qui, en Syrie comme ailleurs, ne profite qu'aux grandes villes au détriment des provinces. Dans ces dernières, l'Etat s'est éclipsé, de même que le parti, laissant les services de sécurité contenir un nombre croissant de problèmes – quand ils n'y contribuaient pas directement, en composant avec les trafiquants, les islamistes et les réseaux de corruption. Un peu partout en Syrie, ce legs éclate désormais au grand jour.
De l'autre côté se joue la revanche du régime policier allawite qui s'était constitué à la faveur de la grande répression du début des années 1980, quand le régime affrontait une insurrection sectaire dominée par les Frères musulmans. Ce régime que Bashar a hérité, il l'a en partie démantelé, écartant les barons des services et tempérant les abus de leurs agents. Les perdants de ce processus font actuellement un retour en force. Bashar, comme auparavant en période de crise, suit le mouvement.
Ce qui se passe sur le terrain est donc bien différent de ce qu'en dit le régime, bien qu'il n'ait pas tort sur tous les plans. Dans le discours officiel, la révolte serait une insurrection à dominante islamiste sponsorisée par l'étranger – semblable au phénomène d'il y a 30 ans. Mais le régime combat ses propres bases sociales bien plus que celles des Frères musulmans – dont les initiatives lancées de l'étranger rencontrent de faibles échos au niveau de la rue. Si fondamentalisme il y a, c'est essentiellement le résultat d'un vide laissé par un parti impotent, un Etat en retrait et un leadership retranché dans la capitale.
Dans les provinces, les Syriens ne voient plus aujourd'hui du régime que son pire visage : des services de sécurité qui ne se contentent pas de réprimer la composante armée du mouvement de protestation, mais tentent de l'écraser dans son ensemble, en recourant abusivement à la force, en multipliant les humiliations, en s'efforçant en somme de restaurer le mûr de la peur. Peine perdue : s'il y une chose que les manifestants ne laisseront pas définir leur avenir, c'est le règne des services. Ce qu'ils veulent, fondamentalement, c'est celui de l'Etat – à savoir une forme de gouvernement leur assurant une représentation politique et une redistribution économique un tant soit peu équitable… et des recours contre la violence de l'appareil sécuritaire.
La majorité silencieuse soutient tacitement le régime par crainte, justement, que sa chute ne précipite aussi l'effondrement de ce qu'il existe d'une structure étatique. C'est le cas d'une portion importante des minorités (qui tremblent à l'idée d'un agenda islamiste hégémonique) des classes moyennes (dont le statut est largement tributaire de l'Etat) et des hommes affaires (qui craignent pour leurs intérêts prosaïques). La révolte des provinces les inquiète et l'opposition en exil ne les rassure pas, appelant au renversement du régime tout en se passant d'articuler la moindre alternative crédible.
Prié de garantir une forme de stabilité, le régime ne s'en comporte pas moins de façon chaotique, que ce soit en matière de répression, de réforme, de dialogue avec l'opposition, ou encore de gestion des conséquences économiques du désordre. Ce faisant, il convainc une part croissante de cette majorité silencieuse de son incapacité à offrir une issue ; en somme, bien que la dichotomie offerte par le pouvoir, "nous ou le chaos", l'ait bien servi au début, de plus en plus de Syriens répondent "quand à subir le chaos, autant se passer de vous". Ainsi, le régime pose les bases d'une mobilisation qui dépasserait largement le cadre de la révolte des provinces.
Aussi peu probable soit il, on ne peut pas exclure un autre scénario. L'approche sécuritaire adoptée par Bashar et portée par toute une élite soucieuse de protéger ou promouvoir ses intérêts, est en passe de démontrer son échec patent. Elle permet certes au régime de contenir l'ampleur de la mobilisation, mais ne l'éteindra pas. Elle catalyse la militarisation de certaines de ses franges, qui infligent à l'appareil de sécurité plus de pertes qu'il ne peut tolérer sur la durée. Et elle perpétue une instabilité qui fait perdre au régime ce qui lui reste de soutiens. Or, avec des ennemis nombreux et sans base populaire solide, il ne survivra pas.
Ce fiasco pourrait l'amener à rechercher plus sincèrement une sortie de crise politique, quand les partisans de la ligne dure n'auront plus rien à proposer. Il apparaît aujourd'hui qu'il a toujours été illusoire d'espérer que Bashar prendrait les devants, en se lançant dans une révolution contre son propre entourage. Mais les dynamiques au sein de l'élite pourraient néanmoins changer, en faveur d'éléments plus rationnels et raisonnables qui ont été marginalisés.
La lutte pour que la famille régnante se maintienne dans un climat de corruption, d'incompétence et d'impunité est une bataille qu'elle ne peut que perdre. La seule cause que le pouvoir peut espérer défendre, c'est celle de l'Etat, ce qui exigera de défaire bien des aspects qui font de lui un "régime". A ce stade, celui-ci a le choix entre se démanteler lui-même par ses erreurs et ses excès, jusqu'à l'implosion, ou se démanteler de façon volontaire et systématique. S'il fait ce second choix, il aura besoin de tous les encouragements que la société internationale peut offrir.
Il y a fort à parier que le régime opte plutôt pour la voie du suicide collectif. Dans ce cas, tout reposera, en dernière analyse, sur la détermination de la société syrienne, qui pour l'instant résiste aux dynamiques d'éclatement dont joue le pouvoir, à l'y pousser sans l'y suivre.
Peter Harling, directeur de projet, basé à Damas, pour l'International Crisis Group